Dans ma perspective, les prochaines années – lustres et décades – à venir vont voir le retour en force de l’aristocratie.
Démodée depuis la fin du XVIIIème siècle, toujours utile mais pas forcément valorisée au cours du XIXème et discrète au XXème, l’aristocratie, au sens classique du terme, va revenir à la mode d’ici à 2020. C’est mon sentiment depuis longtemps, et cela commence à devenir un avis argumenté.
En effet, toutes les conditions s’y prêtent. Dans nos pays européens, l’accentuation du fossé entre les personnes les plus riches, et le reste de la société, de la classe moyenne aux personnes les plus pauvres, continue. On remarque de la capacité croissante des gens de vivre de manière contigüe sous le même soleil et dans la même ville, dans la même rue ou le même avion, sans pour autant vivre la même vie et ni vivre dans le même monde.
Dans nos pays occidentaux, cette accentuation du fossé provient d’abord de la financiarisation de la société qui a permis à certaines élites et aux banksters de générer des profits dont personne n’osait rêver durant les trente glorieuses, où pourtant, beaucoup de fortunes ont pu être constituées.
En parallèle de ce clivage qui grandit à l’interne de occident, un mouvement similaire se passe au niveau de la planète où l’occident historique perd en influence financière et en capacité de domination matérielle du monde alors que les autres parties du monde (l’Amérique du Sud – à nouveau, le Moyen Orient et l’Asie – enfin) arrivent dans la cour des grands, toujours plus vite et plus fort. En s’agrandissant, l’écart s’accélère et devient impossible à combler. Dans ma vision, ce n’est ni bien ni mal, tout en étant assez justifiable et facilement compréhensible.
Grand écart et héritage.
Historiquement, ici ou ailleurs, l’aristocratie se base sur un principe clair: l’idée que la naissance est une qualité en tant que telle et que ce dont l’on hérite fait l’homme. L’aristocrate hérite d’un nom, d’une particule, d’un patrimoine, d’une fortune, d’une réputation, d’une activité, d’une charge.
On le voit bien dans le capitalisme financier et c’était déjà le cas dans le capitalisme industriel, l’aspect dynastique reste très fort. Il est toujours plus simple d’être un mauvais entrepreneur et de quand même connaître le succès lorsqu’on hérite d’une entreprise florissante ou de sommes suffisantes pour créer n’importe quelle activité.
Alors que le clivage s’accentue, il me paraît évident que le retour aristocratique plus formelle, plus “officiel”, se prépare.
En effet, dans le capitalisme financier, les positions s’héritent. L’ascenseur social reste disponible pour ceux qui sont prêts à l’activer manuellement et avec énormément d’efforts mais, plus généralement, la reproductibilité des classes a tendance à s’accélérer, s’alourdir et fermer la parenthèse ascensionnelle et ouverte par les “trente glorieuses” et les aspirations d’égalité des chances du 20ème siècle. En parallèle, plus on est riche au départ, plus la courbe de croissance de son patrimoine s’accentue, plus les revenus arrivent plus vites que les dépenses. Des héritages immenses se préparent et se construisent.
Ce changement sociétal, les conséquences de l’évolution du partage des revenus et des richesses dans la société et dans le monde, vont aussi se faire sentir dans tous les autres secteurs de la consommation, de l’immobilier à la décoration, de la mode à la génération de codes sociaux, dans un vaste mouvement général de retour vers la tradition et le classicisme.
En effet, lorsqu’on voit les “aristocrates 2.0”, asiatiques ou moyen-orientaux arriver en Europe, ils s’intéressent d’abord au patrimoine historique, certains diront éternel, du vieux continent. Ils ont bien raisons.
Et c’est que le début.
En effet, alors que les professionnels de la finance de New-York, les stars de la City de Londres, ou les parangons de la banque privée à Genève achètent du mobilier Roche Bobois en contre plaqué laqué blanc pour meubler leur salon aux fenêtres scellées en dépensant des dizaines de milliers de francs ou qu’ils achètent des artistes contemporains dont tout le monde parle sans pour autant réellement comprendre ce qu’ils font, la nouvelle aristocratie asiatique et moyen-orientale, elle, se concentre sur les vielles pierres, le patrimoine intemporel, les marques historiques, et plus généralement, tout ce qui représentent le savoir faire qui a fait de l’Europe ce qu’elle est. En d’autres termes, en phase avec l’évolution de sa position au sommet de l’échelle, cette nouvelle aristocratie s’inscrit dans une tradition centenaire voire millénaire, qui donne une lisibilité encore plus grande à leur nouvelle position dominante, au processus de remplacement en cours d’une élite par une autre.
Ce retour de l’aristocratie se traduira bien entendu aussi par un retour de la fierté de la bourgeoisie, ce wagon entre la première et la troisième classe, traditionnellement accroché à la locomotive aristocrate depuis près de trois siècles.
Dans cette perspective, il paraît évident que dans un futur proche, alors que les iniquités continuent à croître, la volonté de démontrer sa différence, de s’afficher comme dans une classe ou dans une autre, augmente fortement, voir même, deviennent socialement obligatoire. Un monde aux identités nationales en évolution, qui se floutent et s’atténuent, laisse aussi plus de place à de réelles identités de classe, qui s’imposent comme plus pertinentes, plus génératrices de sens dans un monde aux frontières changeantes.
La demande pour le démodé
Sur cette base, on peut donc prévoir que le retour des dorures et des ornements, la renaissance des arabesques et pieds en pattes, des dessertes Louis XV ou des lits en bateau Louis-Philippe, de l’abeille Napoléonienne ou de la fleur de Lys des Bourbons, du retour du velours comme de la soie sur soi, de la dentelle fine et du satin lisses, des collerettes et des jabots, guêtres et chapeaux, de la vielle pierre et des titres de douairière.
En bref, tout ce qui a été démodé par la postmodernité redeviendra à la mode. Rapidement. Alors que ce billet décrit une évolution comportementale à venir des élites, on peut déjà observer et mesurer ce processus à l’oeuvre dans la population des démocraties occidentales, autant par le nouveau positionnement des marques de luxes “avec tradition” comme marque grand public que le renforcement récent de concepts de nation, d’identité ou de dogmatisme religieux, idées qui paraissaient encore désuets et en voie de disparation il y a encore quelques dizaines d’années.
Enfin, et je n’en parle pas dans ce papier, mais cela fait néanmoins parti de ma perspective: la dimension génétiquement modifiée de l’aristocratie fera couler beaucoup d’encre dans les prochaines décennies, puis, possiblement, couler autant de sang. En effet, lorsque – demain matin, les moyens financiers permettront à une certaine catégorie de la population de modifier ses gênes afin d’avoir une santé quasi parfaite, une longévité exceptionnelle et d’atteindre le plein potentiel de l’humain, la capacité de capitalisation et thésaurisation de ces super-humains sera sans limite. Aristocratie 2.0, “artilect” ou transhumain, peu importe le lexique, à ce moment là, l’iniquité aura atteint un point de non retour qu’il ne sera plus possible de dépasser.
Affaire à suivre.
Clément Charles
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Photos:
1, 3. Vitrine du Mall of The Emirates, Dubai, Nov 2013.
2. Magasine hipster, Berlin, Oct 2013.