Clement Charles

Clement Charles 's thoughts
May 1st, 2013

Hypercondrie, la maladie des médias

Molière a popularisé le terme hypocondriaque avec son malade imaginaire. “Une écoute obsessionnelle de son corps amène l’hypocondriaque à interpréter la moindre observation comme le signe d’une maladie grave” dixit Wikipedia. 

A l’inverse, l’hypercondrie est beaucoup moins connue. Elle consiste à imaginer que tout va bien, alors que manifestement, tous les indicateurs confirment le contraire. Mes quinze ans de pratique m’imposent un diagnostic: l’hypercondrie est le Mal des médias traditionnels, plus particulièrement des journaux.

En effet, j’ai passé une partie de ces années à travailler avec des responsables, directeurs et éditeurs de toutes tailles, pour rendre leurs titres plus pertinents pour leur audience, tout en étant plus rentables, et donc plus durables. Dans de nombreux cas, j’ai eu l’impression d’être un oncologue dont les patients, amputés de la langue et du larynx, expliquent avec une voix de vocoder que “le tabac n’a rien à voir avec leur problème de santé”, tout en fumant une clope par un trou en bas de la gorge.

Value VS Revenue

Le cas du patient “journaux” renvoie à cet exemple médical car, vu de l’extérieur, il est clair que le souci n’est pas réellement un problème de revenu (et donc de coûts), mais plutôt un problème de création de valeur (et donc de rôle dans la société ou de stratégie éditoriale). Dans ce sens, les changements cosmétiques, les réductions de personnels à la machette ou le suivisme des modes sont autant de traitements qui limitent la visibilité des symptômes tout en aggravant le mal fondamental.

Cette hypercondrie managériale s’explique par des raisons culturelles: le conservatisme pour préserver les acquis de confort. La recherche de confort à tout prix est un problème largement partagé par les différentes strates de l’entreprise. Elle est contre-productive, car, par définition, les médias ne doivent jamais se sentir à l’aise et être toujours sur la brèche, avec une volonté permanente d’adaptation pour refléter au mieux les attentes forcément évolutives de ses publics cibles. Agréable à court terme, le confort de ne pas envisager de changement ou celui de ne pas se questionner sur le rôle de son média, et plus généralement du journalisme, est le principal fossoyeur du futur de cette industrie.

Passion du statu quo

Ce statu quo a été renforcé par l’aspect générationnel des organigrammes. Alors qu’il est naturel de vouloir, individuellement et à chaque niveau, viser le confort, cette passion du statu quo n’est pas acceptable au niveau des dirigeants, qui ont la mission et la rémunération associée, de penser le futur. Alors que cette mission a été majoritairement ignorée par une génération sortante de dirigeants  dont le seul but était de continuer à faire croître leur capital retraite dans des entreprises en réduction d’effectif, cette erreur handicape toute l’industrie dans sa capacité à se penser, à se renouveler et à s’adapter à un monde dont la mutation s’accélère.

A titre personnel, je ne pense pas que les médias soient condamnés ou qu’ils n’aient plus de raison d’être. A l’inverse, je crois en l’importance d’une information libre pour faire fonctionner une démocratie juste et équitable. Si la fonction est essentielle, le corps qui l’accomplit ne l’est pas. Les entreprises de médias choisissent donc aujourd’hui la nature de leurs lendemains.

Le moment est venu de cesser l’hypercondrie. Il est donc temps de sortir la tête du sable et de faire face aux défis qui sont les nôtres. Le journalisme sera important dans le futur. Ne le laissons pas être condamné par la fascination du passé.

 

Cet article est paru dans ComIn Magazine, le magazine Suisse des professionnels de la communication et des médias, et sur MediaPart.

May 25th, 2010

Bienvenu au journalisme 3.0

En cette période de mouvement de fond dans la presse écrite suisse, le rôle réel du journaliste de demain n’est pas qu’une question de forme dans un monde où tous deviennent producteurs de contenus et où l’accès au “top stories” s’impose comme gratuit autant qu’immédiat.

 

Les professionnels de l’information se sentent menacés, à juste titre. En effet, dans un métier très assis sur ses acquis, la peur entraine un immobilisme encore plus fort qui renforce l’incapacité à intégrer le changement, à trouver des réponses valides pour l’avenir de ces professionnels de l’interrogation.

 

Historiquement, journaux et journalistes étaient valorisés pour deux choses: trouver les informations et les mettre en perspective. Dans la presse écrite, principalement quotidienne, la sélection des sujets est quasiment laissée aux grandes agences de presse et, par pression économique, manque de place ou bien à cause d’une forme de “service minimum”, la mise en perspective par les rédactions de ces informations fait défaut.

 

Ayant gagné son statut d’élite en tant qu’artiste créateur d’information originale, le journaliste est progressivement devenu diffuseur de message qu’il n’a pas produit, voire pas choisi. Pour retrouver la crédibilité perdue du public et sa propre confiance dans l’importance de sa profession, son futur doit d’une part revenir aux sources, à la production d’une information exclusive et unique, et d’autre part modifier le rôle conceptuel du média et des talents qui le compose.

 

Pour filer la métaphore artistique, le journalisme 3.0 sera ni un travail d’artiste pur ou de simple courroie de transmission, mais une mission de commissaire d’exposition, de sélectionneur en chef des informations les plus originales, crédibles, vérifiées et intéressantes pour le public. Son rôle comme celui du média avec son angle propre, sera de mettre les faits en perspective, de livrer des analyses en profondeur, d’utiliser son talent et son savoir faire pour agréger des informations pertinentes (au lieu de les reproduire une énième fois) tout en signant des contenus uniques et originaux, tout en créant du sens.

Dans la société de la connaissance, la création de valeur provient non plus de la quantité de données, mais de la qualité de celles-ci. Changement en profondeur, ce nouveau rôle pourrait remotiver les équipes, et permettre la mutation organisationnelle nécessaire des rédactions. Papier ou digital, le média et sa marque sont associés à une valeur ajoutée thématique, pertinente pour une cible particulière. Remplir ces attentes est la clé du succès public, et donc financier.